2024 - Les Khmers rouges: un génocide méconnu
Lors de notre passage à Phnom Penh, nous sommes passés par deux monuments incontournables pour mieux comprendre le Cambodge et son histoire : l’ancienne prison secrète S21 et les "champs de la mort". Nous sommes sortis de cette journée choqués et tristes mais conscients de nombreux problèmes auxquels le Cambodge a dû faire face au cours de ces dernières 50 années. Dans cet article, nous souhaitons mettre la lumière sur un génocide peu connu et pourtant relativement récent : le massacre des Khmers rouges.
Le contexte
Pour commencer, revenons 49 ans en arrière, en 1975. Nous sommes à la fin de la guerre du Vietnam et le Cambodge, tout comme ses voisins, souffre des bombardements incessants des Etats-Unis.
Plus de 100 000 cambodgiens sont morts dans les campagnes et une partie plus grande encore se réfugie dans les villes. Cet exode est lui aussi très meurtrier et les survivants sont souvent sans travail ni foyer mais avec une colère grandissante et des envies révolutionnaires. Vous l’aurez compris, le contexte du Cambodge et sa situation en 1975 sont alors très fragiles.
Le commencement
Le 17 avril de cette même année marque un jour historique dans l’histoire des Khmers rouges. La capitale du Cambodge, Phnom Penh, est envahie par des révolutionnaires, qui sont en fait des soldats khmers rouges, puis entièrement désertée par ses habitants en l’espace de 48h. Ces soldats annoncent à tous les habitants, de maisons en maisons, qu’ils vont devoir partir pour « seulement 2 ou 3 jours pour se mettre à l’abri d’un bombardement imminent des Etats-Unis »
Les révolutionnaires sont parfois accueillis avec de grands sourires dans ce contexte si tendu, mais c’est souvent contre leur gré et sous la menace que tous les habitants, soit 2 millions de personnes, doivent quitter leur logement dans des conditions désastreuses. Malades dans les hôpitaux, femmes enceintes, bébés, personnes âgées, handicapées, aucun ne peut rester. Les villes du pays sont donc vidées en l’espace de 2 jours. En réalité, ils étaient jetés sur les route des campagnes sans nourriture ni effets personnels. Pour ensuite, être assignés à une province voisine où ils étaient contraints de travailler dans les rizières jour et nuit.
Le leader et son idéologie
A la tête de cette invasion et des khmers rouges se trouve Pol Pot. Né en 1902 et fils d’agriculteurs prospères, il obtient une bourse pour étudier en France à l’institut de radioélectricité où il échoue à l’examen de première année. Il devient alors membre du parti communiste français. Suite à cela, il rejoint une cellule communiste clandestine plus extrême et vénère le leader chinois Mao Zedong. A son retour au Cambodge, il enseigne sa propre doctrine, enrôle les jeunes venus des campagnes et traumatisés par la faim, les bombardements et la corruption. Il leur explique que les habitants des villes sont responsables de tout, leur promet de la nourriture, une stabilité et un emploi.
Dans son idéologie, l’Angkar (c’est-à-dire l’organisation révolutionnaire) qu’il dirige a pour but de rebâtir la société, effacer les différences de classe et faire table rase du passé. L’année 1975 doit être une nouvelle année 0, il prône une suppression des croyances, du savoir ainsi qu’une soumission aveugle à son régime communiste extrême. L’école et les religions sont supprimées, les hommes et les femmes séparés et beaucoup sont envoyés à la mort: les enseignants, les anciens fonctionnaires, les « intellectuels », ceux portant des lunettes ou ayant les mains soignées, tous sont emprisonnés et promis à la mort. Ils sont appelés « peuple du 17 avril » (référence aux habitants de Phnom Penh et à son invasion ce jour là) par opposition au « peuple nouveau ».
« Le peuple du 17 avril est comme une plante parasite : à vous garder en vie on a rien à gagner, à vous éliminer, on a rien à perdre. »
La seule raison de vivre des cambodgiens devait être de produire du riz, 3 tonnes par état (donc tripler la production immédiatement), même si ni l’Angkar ni les gens des villes ne savaient comment le cultiver. Cette mesure a entrainé une famine meurtrière dans tout le pays. Les plus téméraires ont tenté de cueillir des fruit pour se nourrir, ce qui était considéré comme du vol à l'Etat. Si jamais ils étaient attrapés, c’était la mort assurée. Pendant tout la période khmer rouge, les frontières étaient fermées et personne ne savait réellement ce qui se passait.
La prison S21
Au cœur de la capitale se trouvait la prison ultra secrète S21 ou Tuol Sleng (nom de l’ancienne école primaire transformée en prison). Les soit disant « opposants au régime » ne savait pas pourquoi ils étaient arrêtés, ils étaient transférés les yeux bandés en camion puis torturés 3 fois par jour en ce lieu. La prison a accueilli entre 12 000 et 20 000 personnes et finalement seuls 12 survivants ont été confirmés. Elle était totalement coupée du monde extérieure et désignée par les habitants du quartier comme « le lieu où les gens entrent mais ne sortent jamais». C’était la pire des 200 prisons khmer rouges réparties dans le pays.
Finalement, seuls 14 corps ont été retrouvés, tués et abandonnés. Aujourd’hui, 14 pierres blanches sont érigés en leur mémoire et les photos de tous les détenus sont exposés depuis la découverte de la prison en 1980. Des milliers de personnes sont alors venus pour chercher des informations sur un proche dans les archives ou sur les photos.
Les champs de la mort
Après avoir été emprisonnés, contraints de faire de fausses confessions (par exemple avoir volé du riz qui appartenaient à la communauté ou être espion du KGB ou CIA) ils étaient conduits aux champs de la mort. Les prisonniers emargeaient puis étaient emmenés aux fosses de plusieurs mètres de profondeur pour être exécutés. Ce site était un ancien cimetière chinois, éloigné de tout, où des hauts parleurs vrombissaient des chants révolutionnaires pour couvrir les cris des prisonniers.
« Mieux vaut tuer un innocent par erreur qu'épargner un ennemi qui ronge le pays de l'intérieur. »
Les victimes, jusqu’à 300 par jour, étaient poussées vivantes dans les fosses puis couvertes de DDT pour masquer l’odeur et ne pas éveiller les soupçons des paysans des alentours. A quelques pas des fosses se trouvait « l’arbre de la mort » contre lequel des enfants étaient tués sous prétexte d’arrestation par filliation pour ne pas engendrer de possible vengeance.
Le slogan Khmer rouge disait à ce propos:
« Pour se débarasser de la mauvaise herbe il faut aussi arracher les racines. »
La fin du régime
En 1979, c’est l’éviction des khmers rouges qui fuient vers la frontière thaï. Le nouveau gouvernement est vietnamien mais n’est pas reconnu en dehors du pays. Les Khmers rouges siègent alors encore aux Nations Unies et sont réfugiés dans la jungle. Encore en 1990, dans un contexte de guerre froide, la Chine et les représentants du monde entier tournent le dos au nouveau gouvernement installé par les vietnamiens alors sous protection de l’URSS. Ce n’est que récemment que les procédures judiciaires ont abouties et que le massacre a été reconnu comme un crime contre l’humanité. Par exemple le procès de « Douch », l’ancien commandant de la prison S21, a débuté en mars 2009 pour se terminer en 2012 après plusieurs appels. Il a été finalement condamné à la réclusion à la perpétuité à 70 ans.
Finalement, en 4 ans, un quart de la population cambodgienne a été massacrée soit environ 2 millions de personnes. Aujourd’hui, 65% de la population a moins de 30 ans et après des années de déni, justice commence à être faîte. Le massacre commence à rentrer dans l’Histoire, est reconnu internationalement et son histoire est enseignée sur les bancs des écoles cambodgienne depuis 2010.
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